samedi 22 février 2014

Deux courts romans écrits à la première personne (1): Petits combattants - Raquel Robles

J'ai lu récemment deux romans écrits à la première personne qui m'ont bouleversée. Deux ouvrages dont le narrateur reste volontairement anonyme. Le premier est un roman autobiographique, premier titre traduit en français (mais troisième livre publié) de Raquel Robles. Cette écrivaine argentine, née à Santa Fe en 1971, a en effet perdu son père et sa mère, opposants à la dictature arrêtés et disparus alors qu'elle n'avait que cinq ans.

On ne saura jamais son prénom. Ni son âge. Mais comme l'auteure, la narratrice de Petits combattants a grandi dans l'Argentine de Perón. Elle a connu le "Pire" : une nuit, ses parents, communistes, ont été enlevés. Elle tente de continuer à vivre en suivant leur modèle, d'être fidèle à la Révolution, d'être forte pour son petit frère. Tenaillée par l'espoir de retrouver un jour son papa et sa maman.

C'est un roman bref mais très émouvant que nous propose Raquel Robles avec Petits combattants. Elle décrit avec beaucoup de justesse l'enfance d'une fillette qui essaie de rester digne et courageuse après l'impensable. Une enfant qui ne peut accepter la disparition de ses parents et qui tient absolument à continuer malgré tout à se battre avec son frère, son complice. L'auteure parvient à lui donner une voix et des expressions d'enfant révoltée, qui s'accroche à ce qu'elle sait, sans jamais verser dans le pathos. Jamais elle ne cherche à s'apitoyer sur elle-même. Au contraire. Raquel Robles évite ainsi avec talent les clichés et le ridicule pour nous proposer un récit très vivant, bouleversant et paradoxalement drôle.

C'est une véritable pépite (repérée grâce à l'opération Masse Critique de Babelio, que je remercie chaleureusement) que nous proposent les éditions Liana Levi avec ce roman extrêmement fort. Une très belle découverte.

Raquel Robles, Petits combattants, traduit de l'espagnol par Dominique Lepreux, éditions Liana Levi, 2014, 137 p.

L'incipit du roman :

« Je savais que nous étions en guerre, je savais qu’il y avait eu une sorte de combat et qu’ils devaient se trouver dans une prison glaciale en train de lutter pour leur vie. Je savais que je devais résister. Malgré tout, une chose me déconcertait : il n’y avait pas eu un seul coup de feu. Alors dire « ils les ont emmenés », ce n’était pas si faux, ce n’était pas un code pour désigner une terrible fusillade, des heures de combat, puis une capitulation face à l’inégalité des forces. C’était une réalité : ils étaient venus à la maison, en grand nombre, c’est sûr, il y avait eu des cris, du désordre, des heures d’interrogatoire, et ensuite ils les avaient emmenés. Ma grand-mère me disait que ça c’était passé comme ça  parce que mes parents voulaient nous protéger. Ce qui m’a toujours paru ridicule : nous étions des combattants, nous étions préparés à affronter un tel moment, nous savions quoi faire, où nous cacher, quand courir, quand pleurer. Nous savions que nous devions être forts, nous savions ce qui pouvait arriver. Se réveiller le matin et voir sa grand-mère décomposée, essayant de ranger la maison avec son corps énorme et impotent, répétant, la voix étranglée, « ils les ont emmenés, ils les ont emmenés », c’était horrible. Ils s’étaient battus la nuit durant, et moi je dormais ! Quel être humain peut dormir d’un sommeil aussi lourd ! » (p.11)

Deux autres extraits:

« Je savais parfaitement que la religion était l’opium du peuple. Je n’étais pas bien sûre de ce qu’était l’opium, sans doute quelque chose de très mauvais, qui une fois avalé par le peuple retardait irrémédiablement le Processus révolutionnaire. Non seulement dieu n’existait pas, mais croire en son existence nous causait du tort à tous. Je savais aussi que nous étions en train de traverser une période de Résistance et qu’il fallait dissimuler. Il était évident que le Peuple avait l’opium sur l’estomac parce que le Processus révolutionnaire était très en retard. Et personne ne semblait se rendre compte que la Révolution était au bout du chemin. Il se pouvait que les activités de simulation soient en train de porter leurs fruits, mais c’est justement là le problème de la clandestinité : il n’y a personne à qui poser la question. » (p. 27)

« Les souvenirs sont facétieux, ils n’en font qu’à leur tête. Quand tu veux te souvenir de quelque chose, tu peux t’y appliquer toute la nuit et il ne se passe rien ; quand tu es occupée à autre chose, pan ! il en apparaît un et c’est comme si un inconnu te collait une gifle en pleine rue sans raison. On a beau s’être entraîné tous les jours pendant longtemps, c’est peine perdue. » (p. 65-66)

Une interview de l'auteure pour en savoir un peu plus.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire