mercredi 26 février 2014

Deux courts romans écrits à la première personne (2) : Les noces clandestines - Claire-Lise Marguier

Bien que son roman ne soit absolument pas autobiographique, l'écrivaine française Claire-Lise Marguier a choisi d'employer dans son second roman le même procédé que celui utilisé par Raquel Robles dans Petits combattants. Publié un an après son très réussi Le faire ou mourir (à lire absolument, si ce n'est déjà fait), Les noces clandestines est entièrement narré à la première personne par son personnage principal, un homme dont on ne connaîtra jamais le nom. C'est un texte glaçant, totalement dénué d'humour. Ce livre publié dans la collection La Brune des éditions du Rouergue au printemps 2013 ne m'intéressait d'ailleurs pas a priori. Mais la lecture d'avis enthousiastes comme ceux d'In cold blog ou bladelor (pour d'autres références, allez voir chez Babelio) m'a convaincue d'y jeter un œil. 

C'est l'histoire d'un homme en apparence banal. Âgé d'une quarantaine d'années, il est professeur d'histoire dans un collège. Mais alors que la femme qui l'a élevé vient de mourir, il rencontre Joël, un jeune sans-abri qu'il décide de retenir dans la chambre qu'il a installée au sous-sol de sa maison.

Avec ce nouveau roman, Claire-Lise Marguier traite un thème particulièrement difficile: elle fait le récit d’une séquestration du point de vue du kidnappeur. Et elle parvient à en éviter tous les écueils et les clichés. Elle ne cherche pas à nous faire aimer les personnages, à détailler les raisons de leurs agissements, à verser dans le sentimentalisme. Son but n'est pas de mettre le lecteur à l'aise, ni d'en faire un voyeur. Elle a donc écrit un texte court, sans un mot de trop, et qui sonne juste, sans jamais verser dans la trivialité.

Les noces clandestines est un roman à part, étrangement fascinant. Un livre qui, malgré son thème, n'a rien d'un roman d'horreur banal. Ses pages se tournent toutes seules.


Claire-Lise Marguier, Les noces clandestines, éditions du Rouergue, 2013, 120 p.

Deux extraits du début du roman:

"On dit souvent bien niaisement que l'on sent la mort rôder à pas feutrés, se cacher dans les ombres des portes et dans les entrebâillements de placards. Pas du tout. Elle est lointaine, intouchable. Elle ne fait pas partie de ce monde tant qu'elle n'a pas fondu sur vous. Vous croyez que vous aurez droit à un signe vous indiquant qu'elle va vous ravir quelqu'un. Que votre chien va hurler sans raison, que les carillons vont tinter. Que vous serez là pour recueillir les dernières volontés du moribond, avant qu'il n'ait un soupir et rende l'âme. Si c'est à cela que vous vous attendez, vous vous sentirez floués le moment venu. Parce que la mort entre par la grande porte, en plein jour, à l'heure bruyante de la sortie des écoles, passe devant vous sans un mot et vous vous trouvez à contempler stupidement un cadavre, en vous questionnant sur l'utilité d'ameuter votre entourage." (p. 11-12)

"Il y a dans chaque existence un moment charnière duquel découlent tous les autres événements. On prête aux rencontres cette capacité, mais cela va bien au-delà. La minute de retard qui vous a fait prendre un raccourci. Le clou sur la route qui vous a amené chez le garagiste du coin. Ces anicroches qui vous dévient inconsciemment de votre route pour vous conduire sur des chemins de traverse et faire basculer les destinées des cinquante personnes à la ronde." (p. 13)

Le point de vue du narrateur sur la lecture : 

"Quant à moi, je me tenais à distance raisonnable des livres, ainsi que je l'avais toujours fait, conscient du danger qu'ils représentent, ne lisant que le strict minimum et ne commettant jamais l'erreur de croire au caractère inoffensif du plus insignifiant d'entre eux. En lire la première ligne vous asservit jusqu'à la dernière, et même longtemps après. Entre leurs pages, vous n'êtes plus maître de vous-même ; vous vous abandonnez sans conditions à l'esprit d'une plume plus forte que vous, susceptible de vous emmener dans des travers sombres et glauques, de vous faire admettre des idées fausses sans que vous ne cilliez. Les mondes qu'ils dévoilent sont capables de vous aspirer et de vous emprisonner dans une ronde infernale de désespoir et de culpabilité, n'ignorant pas que vous demeurerez à jamais impuissant à embrasser le dixième de leurs révélations, même si vous y passiez le reste de votre éternité. Les livres sont des pièges mortels et pervers où s'égare la raison, et qui se cachent sous des allures nobles de pourvoyeurs de connaissances."  (p. 90-91)

samedi 22 février 2014

Deux courts romans écrits à la première personne (1): Petits combattants - Raquel Robles

J'ai lu récemment deux romans écrits à la première personne qui m'ont bouleversée. Deux ouvrages dont le narrateur reste volontairement anonyme. Le premier est un roman autobiographique, premier titre traduit en français (mais troisième livre publié) de Raquel Robles. Cette écrivaine argentine, née à Santa Fe en 1971, a en effet perdu son père et sa mère, opposants à la dictature arrêtés et disparus alors qu'elle n'avait que cinq ans.

On ne saura jamais son prénom. Ni son âge. Mais comme l'auteure, la narratrice de Petits combattants a grandi dans l'Argentine de Perón. Elle a connu le "Pire" : une nuit, ses parents, communistes, ont été enlevés. Elle tente de continuer à vivre en suivant leur modèle, d'être fidèle à la Révolution, d'être forte pour son petit frère. Tenaillée par l'espoir de retrouver un jour son papa et sa maman.

C'est un roman bref mais très émouvant que nous propose Raquel Robles avec Petits combattants. Elle décrit avec beaucoup de justesse l'enfance d'une fillette qui essaie de rester digne et courageuse après l'impensable. Une enfant qui ne peut accepter la disparition de ses parents et qui tient absolument à continuer malgré tout à se battre avec son frère, son complice. L'auteure parvient à lui donner une voix et des expressions d'enfant révoltée, qui s'accroche à ce qu'elle sait, sans jamais verser dans le pathos. Jamais elle ne cherche à s'apitoyer sur elle-même. Au contraire. Raquel Robles évite ainsi avec talent les clichés et le ridicule pour nous proposer un récit très vivant, bouleversant et paradoxalement drôle.

C'est une véritable pépite (repérée grâce à l'opération Masse Critique de Babelio, que je remercie chaleureusement) que nous proposent les éditions Liana Levi avec ce roman extrêmement fort. Une très belle découverte.

Raquel Robles, Petits combattants, traduit de l'espagnol par Dominique Lepreux, éditions Liana Levi, 2014, 137 p.

L'incipit du roman :

« Je savais que nous étions en guerre, je savais qu’il y avait eu une sorte de combat et qu’ils devaient se trouver dans une prison glaciale en train de lutter pour leur vie. Je savais que je devais résister. Malgré tout, une chose me déconcertait : il n’y avait pas eu un seul coup de feu. Alors dire « ils les ont emmenés », ce n’était pas si faux, ce n’était pas un code pour désigner une terrible fusillade, des heures de combat, puis une capitulation face à l’inégalité des forces. C’était une réalité : ils étaient venus à la maison, en grand nombre, c’est sûr, il y avait eu des cris, du désordre, des heures d’interrogatoire, et ensuite ils les avaient emmenés. Ma grand-mère me disait que ça c’était passé comme ça  parce que mes parents voulaient nous protéger. Ce qui m’a toujours paru ridicule : nous étions des combattants, nous étions préparés à affronter un tel moment, nous savions quoi faire, où nous cacher, quand courir, quand pleurer. Nous savions que nous devions être forts, nous savions ce qui pouvait arriver. Se réveiller le matin et voir sa grand-mère décomposée, essayant de ranger la maison avec son corps énorme et impotent, répétant, la voix étranglée, « ils les ont emmenés, ils les ont emmenés », c’était horrible. Ils s’étaient battus la nuit durant, et moi je dormais ! Quel être humain peut dormir d’un sommeil aussi lourd ! » (p.11)

Deux autres extraits:

« Je savais parfaitement que la religion était l’opium du peuple. Je n’étais pas bien sûre de ce qu’était l’opium, sans doute quelque chose de très mauvais, qui une fois avalé par le peuple retardait irrémédiablement le Processus révolutionnaire. Non seulement dieu n’existait pas, mais croire en son existence nous causait du tort à tous. Je savais aussi que nous étions en train de traverser une période de Résistance et qu’il fallait dissimuler. Il était évident que le Peuple avait l’opium sur l’estomac parce que le Processus révolutionnaire était très en retard. Et personne ne semblait se rendre compte que la Révolution était au bout du chemin. Il se pouvait que les activités de simulation soient en train de porter leurs fruits, mais c’est justement là le problème de la clandestinité : il n’y a personne à qui poser la question. » (p. 27)

« Les souvenirs sont facétieux, ils n’en font qu’à leur tête. Quand tu veux te souvenir de quelque chose, tu peux t’y appliquer toute la nuit et il ne se passe rien ; quand tu es occupée à autre chose, pan ! il en apparaît un et c’est comme si un inconnu te collait une gifle en pleine rue sans raison. On a beau s’être entraîné tous les jours pendant longtemps, c’est peine perdue. » (p. 65-66)

Une interview de l'auteure pour en savoir un peu plus.




vendredi 7 février 2014

Publiés en 2013 (5) : Opération séparation - Stephanie Bond

Après ma déception avec une romance Young adult, j'ai décidé de revenir à une romance contemporaine plus classique, publiée en août dernier dans la collection "Central Park" des éditions Milady. J'ai ainsi découvert le travail de Stephanie Bond, écrivaine américaine auteure de plus de soixante ouvrages, dont quelques-uns traduits en français aux éditions Harlequin.

Les héros d'Opération séparation sont deux travailleurs acharnés, célibataires aux personnalités bien affirmées: Annabelle, est une avocate de 28 ans. Clay, de sept ans son aîné, travaille dans la finance. Ils évoluent dans deux mondes différents. Mais quand ils découvrent que leurs parents respectifs souhaitent se marier l’un avec l’autre, ils sont prêts à tout pour empêcher ce mariage, qui serait le sixième du père de Clay, un célèbre acteur. Sauf que leur première rencontre fait des étincelles, dans tous les sens du terme.

Comme le montre son résumé, Opération séparation est une romance contemporaine relativement classique, avec les clichés inhérents au genre. Mais Stephanie Bond a su user de ceux-ci pour composer une histoire pétillante, dans laquelle on ne s'ennuie pas une seconde. Elle a doté ses deux héros (bien évidemment pleins de charme) d'un sacré caractère, si bien que chacune de leurs rencontres donne lieu à des scènes très évocatrices, souvent drôles et assez originales. L'intrigue, si elle use des ficelles de la romance, est ainsi soignée aux petits oignons, rythmée et bien construite. 

Bref, c’est un livre plein d'humour et de fraîcheur, idéal pour se changer les idées. Il a su plaire également à Nifnif59 et Melwasul.

Un extrait (p. 68):
"- C’est amusant […]. Je croyais que c’était vous l’invitée ici. Je suis chez moi, si l’on peut dire.
Elle avança jusqu’au bord de la piscine et croisa les bras.
- Ce sont les excuses les plus étranges que j’aie jamais entendues.
- Des excuses ? s’étonna Clay en haussant un sourcil.
- Votre famille souffrirait-elle de sénilité chronique ? demanda-t-elle dans un sourire faussement attendri. Je parle d’excuses pour m’avoir insultée et agressée.
- On ne vous avait jamais embrassée auparavant ?"


Stephanie Bond, Opération séparation, édtions Milady, 2013, 328 p.

mardi 4 février 2014

Publiés en 2013 (4): Loin de tout - Jessica Ann Redmerski

Depuis quelques mois, on entend de plus en plus parler du "New adult", genre créé aux Etats-Unis à destination des 18-25 ans. Loin de tout est l'un des premiers ouvrages de ce type traduits en France. Comme Cinquante nuances de Grey, c'est un roman qui a d'abord été autopublié sur Internet par Jessica Ann Redmerski, américaine née en 1975. Face au succès remporté, l'auteure a ensuite trouvé un éditeur.

J'étais donc intriguée par l'histoire de Camryn, vingt ans, qui ne se sent pas à sa place dans sa petite vie rangée, sans passions. Après une dispute avec Natalie, sa meilleure amie, elle prend au hasard le premier car. Sa route croise bientôt celle d'Andrew, mystérieux jeune homme de vingt-cinq ans qui se rend au chevet de son père mourant.

Le problème, c'est que le style m'a agacée dès les premières lignes: ce n'est pas très bien écrit, mais en plus la traduction n'est franchement pas terrible. Ce qui donne des expressions comme: "le menton rêveusement enfoui", "l'attention comme aimantée" (p. 1), dont on se lasse assez vite. De même, les personnages sont plutôt banals, si bien que l'on ne s'attache pas vraiment à eux. Il y a trop de clichés chez Camryn, Andrew, Natalie et compagnie pour qu'on se passionne pour leurs aventures, leurs secrets et autres problèmes. D'autant qu'ils agissent souvent de manière peu crédible, voire complètement stupide. Pourtant l'intrigue, malgré quelques longueurs, avait de quoi être intéressante. 

Bref, cette première incursion dans le genre du New adult ne m'a pas vraiment convaincue, même si j'ai apprécié l'aspect road trip à travers les Etats-Unis, qui aurait pu être plus développé. C'est d'ailleurs un roman qui divise les lecteurs de Babelio.


Jessica Ann Redmerski, Loin de tout, éditions Milady, 2013, 436 p.